Discontinuités écologiques et continuités dynamiques sur le littoral !

Par définition, la politique des trames se tisse dans les continuités. Lorsque la trame est verte et bleue, elle conjugue l’eau et la biodiversité ; l’eau douce, mais aussi l’eau de mer. Qu’un poisson puisse suivre ses cycles biologiques entre la mer, les estuaires et les fleuves, que les invertébrés ou des batraciens réussissent à cheminer le plus librement possible entre différents espaces nécessaires à leur alimentation et à leur reproduction, ou encore que les promeneurs puissent trouver des parcours de proximité et d’aménités sans être suffoqués par des gaz d’échappement ou des murailles urbaines, sont autant d’histoires naturelles et humaines parmi des millions d’autres qui justifient l’organisation de ces trames.

La notion de continuité est facile à représenter et à cartographier, mais elle ne doit pas masquer que la richesse écologique bénéficie aussi des discontinuités dans l’espace et dans le temps. Les lisières au sens large sont les espaces de rencontre entre des facteurs, anthropiques, naturels (chimiques ou physiques) qui s’avèrent écologiquement complémentaires, justement parce qu’ils sont différents. Les lisières s’enrichissent des évolutions dans le temps et dans l’espace. Le littoral en est une illustration historique et contemporaine.

L’érosion des rivages, lorsqu’elle n’est pas ralentie par des trains d’enrochements, conduit à de formidables reconquêtes de la mer vers l’intérieur des terres. Ainsi, aucun hectare du Conservatoire du littoral n’est-il vraiment perdu à la mer ; lors des submersions, se recomposent des écosystèmes de transition et de lisières : des vasières, des lagunes, des étangs littoraux, de nouvelles prairies humides, des herbus ou même des mangroves se développent et s’entrelacent dans la rencontre complexe entre le monde de la terre de l’eau et celui du sel. Mais si cette nouvelle trame d’espaces littoraux conduit à l’omniprésence des milieux halophiles, la diversité biologique s’en trouvera altérée. Il faut donc conjuguer la continuité dynamique et spatiale avec la gestion des discontinuités écologiques. La notion de naturalité sur les rivages est fortement contrariée par la pression des activités anthropiques qui s’y exercent et en conséquence, la limite de la naturalité, au sens philosophique, c’est qu’il est devenu nécessaire de gérer la nature, parce qu’elle est contrainte.

Il est donc important d’anticiper ces évolutions, et que les acteurs tissent ensemble les mailles de cette future diversité des écosystèmes littoraux : pour le Conservatoire par exemple, cela consiste à préparer des acquisitions foncières en recul des rivages, pour recomposer des prairies humides dans des sites à forte intensification agricole comme les polders, alors que les prairies humides actuelles de premier rang auront été remplacées par des milieux salés.

La stratégie d’intervention à long terme du Conservatoire, validée en 2015, s’est attachée à intégrer les politiques des autres opérateurs de protection que sont les Conseils généraux, les services de l’Etat, les Etablissements publics… Ainsi, 700 000 ha de zones littorales à enjeux forts ont été identifiés alors que les moyens accordés à l’action foncière ne couvriront que 320 000 ha à l’horizon 2050. Il faut donc poursuivre la réflexion commune sur la répartition des responsabilités en matière de protection du littoral et s’attacher à développer une gouvernance partagée et prospective de ces trames.